Pôle Patrimonial Professionnel

Ce terme de « déshérence » vise les comptes tenus dans les livres de tout prestataire de service financier, ainsi que les contrats d’assurance-vie, n’ayant pas été réclamés depuis soit la date du décès du titulaire du compte ou de l’assuré, soit depuis un certain temps, pour les comptes dits « inactifs ».
Un compte est dit « inactif » dans plusieurs situations et selon le type de compte concerné :

 PEA, comptes titres Livrets A et autres comptes épargne qui ne bénéficient pas de mouvements quotidiens  aucune opération ni manifestation du titulaire depuis 5 ans
Autres comptes Soit lorsqu’aucune activité, ni manifestation du titulaire, n’a été enregistrée durant les 12 derniers mois,
Soit, lorsque personne n’a réclamé les fonds qui s’y trouvent au cours des 12 mois suivant la déclaration

Origines du problème

Le problème des contrats en déshérence n’est pas une nouveauté, la Fédération Française des Sociétés d’Assurance (FFSA) s’interrogeait déjà sur le sujet après la seconde guerre mondiale. La FFSA est une organisation professionnelle Créée en 1937, sous forme d’un syndicat professionnel. Regroupant entre 90 et 100% du marché de l’assurance en France et d’un point de vue international. Elle articule son activité autour de sept missions :

  • Préserver l’ensemble du champ économique et social en relation avec les activités assurantielles,
  • Représenter l’assurance auprès des pouvoirs publics nationaux et européens, des institutions et des autorités administratives ou de place,
  • Offrir un lieu de concertation et d’analyse des questions financières, techniques ou juridiques,
  • Fournir les données statistiques essentielles de la profession,
  • Informer le public et les médias,
  • Promouvoir les actions de prévention,
  • Promouvoir la place de l’assurance dans le monde académique et la formation.

Plusieurs lois se sont succédées depuis cette époque, notamment en 2003, 2005, et en 2007. Celles-ci ont déjà renforcé les obligations des assureurs, qui se sont opposés à une loi supplémentaire.

  • La loi de 2005 les oblige à informer le bénéficiaire, lorsqu’ils ont connaissance du décès de l’assuré.
  • La loi de 2007 a autorisé les assureurs à consulter un fichier central national pour voir si l’assuré est décédé, et cela pour les assurés âgés de 90 ans et plus, ayant un encours d’au moins 2.000 euros, et n’ayant pas donné de nouvelles depuis deux ans.

Problématique

Les contrats en déshérence sont nombreux et représentent des sommes non négligeables (2,7 milliards recensés par la Cour des comptes en 2011; 4,6milliards 2012 ;1,2 milliard en 2013, ). S’il est à la fois évident que ces sommes sont censés revenir à leur titulaires ou bénéficiaires encore faut il pouvoir et vouloir les connaître. C’est une bonne partie de la problématique des législateurs dans ce domaine.
Ainsi, ce dernier tente, inlassablement, de mettre à la charge des établissements financiers et assureurs, l’obligation de rechercher ces bénéficiaires des sommes dites « dormantes ». Divers intérêts sont en jeux. D’une part un intérêt purement privé de restitution des sommes dues par le débiteur assureur ou établissement financier, d’autres parts des intérêts plus économiques et publiques.

 

PARTIE 1 : Deux nouveaux textes mais pas de nouvelles obligations

1) La Loi et le Décret

Les textes :

  • Loi 2014-617 dite « loi Eckert » du 23 juin 2014
  • Décret 2015-1092 du 28 août 2015

En Juin 2014, de nouvelles dispositions sur les comptes bancaires inactifs et les contrats d’assurance vie en déshérence sont mises en évidence par le biais de la loi n° 2014-617, dite « loi Eckert ». Celle-ci a pour objectif de réduire le montant des fonds « dormants » et d’encadrer les règles relatives à leur versement à la Caisse des Dépôts et Consignations. De plus, elle vise à améliorer la protection des épargnants et des bénéficiaires des contrats d’assurance vie. Elle va aussi renforcer les obligations des établissements de crédit, de monnaie électronique, de paiement et aux organismes d’assurance vie (compagnie d’assurance).
La loi Eckert est complétée par le décret n° 2015-1092 du 28 août 2015 relatif aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence. Il précise les modalités d’applications de la loi, notamment :

  • L’encadrement des frais applicables à ces comptes bancaires et contrats d’assurance-vie,
  • Des taux de revalorisation post mortem des contrats d’assurance vie,
  • Le transfert des comptes bancaires inactifs et contrats d’assurance vie en déshérence vers la Caisse des dépôts et consignations (CDC),
  • Les conditions de restitution des sommes déposées à la CDC à leurs titulaires, ayants droit ou bénéficiaires,
  • La rémunération des sommes déposées à la CDC,
  • Le transfert de ces sommes à l’Etat par la CDC à l’issue du délai prévu.

Ce texte entrera en vigueur à compter du 1er Janvier 2016. 

2) Les Obligations des institutions

Les établissements détenteurs des comptes inactifs et de contrats d’assurance vie sont principalement soumis à une obligation d’information, précontractuelle, mais pas seulement, et à une obligation de recherche.

=> Obligation d’information envers les souscripteurs :

Les assureurs ont, tout d’abord, une obligation d’information précontractuelle en assurance-vie, se présentant sous la forme d’un document uniforme et standardisé, remis au futur souscripteur. Celui-ci a pour but de préciser la forme et le contenu du « produit » assurance vie. Il doit être clair, exact et non trompeur. Il précise les caractéristiques du produit, les moins favorables et surtout les risques que comporte ce placement en vertu de ses avantages et des objectifs du client. Le but de ce document est la compréhension du client afin de comparer le produit facilement et qu’il y trouve des éléments de réponse à ses éventuelles questions.
La loi du 1er Août 2003, obligeait les assureurs à informer, chaque année, des caractéristiques essentielles du contrat, et notamment de la valeur de rachat, les souscripteurs de contrats dont la somme était supérieure à 2000€ (Art L. 132-22 du Code des Assurances). Cette obligation va être renforcée par l’entrée en vigueur du décret et de la loi Eckert le 1er Janvier 2016. Elle sera appliquée à tous les contrats quel que soit le montant des encours. De plus, un relevé d’information spécifique devra, désormais, être envoyé, pour les contrats à terme fixe, un mois avant et un an après le terme.

Chaque établissement doit informer ses clients des conséquences d’un compte inactif et d’un contrat en déshérence, telles que le transfert des avoirs à la CDC. Le client doit en avoir eu connaissance six mois avant que la procédure soit engagée.

=> Obligation d’information envers les institutions :

Outre les compagnies d’assurance, établissements détenteurs de comptes inactifs et contrats d’assurance vie en déshérence, les notaires sont aussi soumis à cette obligation d’information. En effet, ils sont dans l’obligation d’informer les institutions du décès d’un éventuel souscripteur, et d’en préciser l’identité du/des bénéficiaire(s) à la suite de leur recherche des héritiers.
De plus, les établissements doivent remettre à l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution), un rapport annuel du nombre de comptes inactifs ouverts dans leurs livres, le montant total, nombre de comptes ainsi que le montant des avoirs transférés à la CDC et des contrats non réglés aux bénéficiaires.
Ils devront, de plus, déclarer chaque année, concernant les contrats d’assurance vie, le montant cumulé des primes versées entre le 70ème anniversaire du souscripteur et le 1er janvier de l’année de déclaration pour les montants supérieurs à 7500€. Pour les autres contrats, ce sera le montant cumulé des primes versées depuis la souscription au 1er janvier de l’année de déclaration et la valeur de rachat, quelle que soit la date de souscription du contrat qui seront calculés.

=> Obligation de recherche

La loi Eckert renforce les obligations de recherche de clients décédés, prévus dans la loi du 17 décembre 2007. Désormais, les assureurs et établissements financiers devront vérifier chaque année dans le RNIPP (Répertoire National d’Identification des Personnes Physiques), que leurs assurés et clients ne sont pas décédés. Si tel est le cas, la recherche des bénéficiaires doit s’exécuter dans les plus brefs délais. La loi du 13 Juin 2014 stipule que cette obligation de recherche s’étend aux contrats de capitalisation nominatifs.
Dès la connaissance du décès d’un assuré, l’assureur ou le banquier est dans l’obligation de prendre contact avec le(s) bénéficiaire(s) afin de demander les pièces nécessaires au règlement des garanties/ avoirs, dans un délai de 15 jours. La compagnie a, ensuite, un délai de 1 mois, suivant la réception de l’avis de décès et des pièces justificatives du/des bénéficiaire(s), pour verser le capital ou la rente garantis au(x) bénéficiaire(s).
Afin que cette obligation de recherche soit respectée, les assureurs ou banquiers ont la possibilité de contacter l’administration fiscale ou les notaires. Les notaires, eux, devront consulter un registre supplémentaire pour faciliter le règlement des contrats : le registre FICOVIE (comme FICOBA mais qui recense les contrats d’assurance vie), et les informations de la Caisse des Dépôts et Consignations.
Le fichier AGIRA (Association pour la Gestion des Informations sur le Risque en Assurance), qui, lui, recense tous les contrats d’assurance vie et les bénéficiaires désignés, peut, celui-ci, être consulté par toutes personnes ayant :

 

  • Nom, prénom, adresse du supposé bénéficiaire,
  • Nom, prénom, date de naissance et de décès du défunt
  • Copie de l’acte de décès et l’acte de notoriété
    Pour assurer le contrôle de l’efficacité de cette réforme, L’ACPR devra remettre, avant le 1er Mai

2016, un rapport au Parlement, sur l’évolution des encours et du nombre de contrats non réglés ainsi que sur son contrôle des assureurs pour le respect de leurs obligations de recherche et d’information auprès de leurs assurés et bénéficiaires de contrats d’assurance vie et bons ou contrats de capitalisation, et de transfert des comptes et contrats non réclamés.

 

PARTIE 2 : Revalorisation, plafonnement des intérêts et avenir des sommes abandonnées

1) La réévaluation du Capital et le plafonnement des frais des comptes inactifs

Le décret du 28 aout 2015 vient encadrer, les frais, applicables aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance vie en déshérence, les taux de revalorisation Post Mortem des contrats d’assurance vie, ainsi que la rémunération des sommes transférées à la CDC.
Le capital ou la rente garantie au bénéficiaire, doivent, théoriquement être versés dans un délai de un mois à compter de l’identification du/des bénéficiaire(s), par la compagnie d’assurance ou la banque. Si tel n’est pas le cas, le taux légal de rémunération du capital sera doublé pendant les deux mois suivants, au-delà, il sera triplé.
A compter du 1er janvier 2016, L’assureur ne pourra plus faire subir au(x) bénéficiaire(s) les frais engendrés par les opérations de recherches prévues par la loi. L’ACPR met un point d’honneur sur cette obligation de non frais, puisque, à ce jour, de nombreuses clauses dans les contrats d’assurance vie prévoient que les recherches seront à la charge des bénéficiaires.
Art. R. 132-3-1 :
Pour les contrats d’assurance sur la vie mentionnés au quatrième alinéa de l’article L. 132-5:

« 1° Le capital en euros garanti en cas de décès produit de plein droit intérêt dès la date du décès de l’assuré ;
« 2° A compter de la date de connaissance du décès, le capital en euros garanti en cas de décès produit de plein droit intérêt, net de frais, pour chaque année civile, au minimum à un taux égal au moins élevé des deux taux suivants :
« a) La moyenne sur les douze derniers mois du taux moyen des emprunts de l’Etat français, calculée au 1er novembre de l’année précédente ;
« b) Le dernier taux moyen des emprunts de l’Etat français disponible au 1er novembre de l’année précédente ;
« 3° Entre la date du décès et la date de connaissance du décès, lorsque les clauses contractuelles prévoient une revalorisation du capital en euros garanti en cas de décès, celles-ci s’appliquent, dès lors qu’elles entraînent une revalorisation du capital nette de frais ; à défaut, le 2° du présent article s’applique dès la date du décès de l’assuré. 
Le taux de rémunération est calculé selon : la moyenne sur les 12 mois du taux d’emprunt d’Etat français, calculée au 1er novembre de l’année précédente OU le dernier taux moyen des emprunts d’Etat français disponibles au 1er novembre de l’année précédente. Ce sera le taux le plus faible qui sera sélectionné. La revalorisation Post Mortem du capital garanti est prise en compte dès le décès de l’assuré. La loi met fin au délai de carence de un an.
Les frais et commissions seront plafonnés :

 

LA, LEP, PEP, LJ, LDD, PEL/CEL Aucun frais ni commissions
PEA, PEA PME et entreprises de taille
intermédiaire, titres financiers
Frais et commissions annuels n’excédant pas ceux d’un compte actif
Autres comptes inactifs Frais et commissions annuels  <30€.

Les sommes versées à la CDC puis reversées aux bénéficiaires, sont soumis à une taxation de 20% jusqu’à 700 K€ et 31.25% au-delà après un abattement de 15K€ par bénéficiaire, pour les contrats d’assurance vie et de capitalisation. Le conjoint et le partenaire de PACS sont, eux, toujours exonérés.

2) Le devenir des comptes inactifs et des contrats d’Assurance Vie en déshérence

La loi prévoit le transfert des comptes inactifs et des contrats d’assurance vie en déshérence à la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Le décret en précise les modalités. Les comptes et contrats seront transférés à la CDC au-delà d’un des délais :

  • De 10 ans à compter de la dernière opération réalisée sur le compte/contrat.
  • De 3 ans à compter du décès du titulaire/souscripteur du compte/contrat (ou assuré sans possibilité de retrouver les bénéficiaires des sommes).

La CDC doit mettre en place une publicité pour permettre aux titulaires des avoirs ou aux ayants-droit, de les récupérer. Est mise, de plus, à la charge des établissements d’où viennent les comptes et contrats, une obligation de conservation des informations et documents permettant d’identifier le titulaire ou les ayants-droit.
A compter de leur versement à la CDC, L’Etat a vocation à devenir propriétaire des sommes au terme d’une prescription trentenaire :

  • 20 ans, dans le cas d’un compte inactif.
  • 27 ans, dans le cas du décès du titulaires du compte (ou assuré sans possibilité de retrouver les bénéficiaires des sommes).

A la condition, évidemment qu’aucun notaire, bénéficiaire ou titulaire n’ait réclamé ces sommes avant ce terme.

Tableau récapitulatif : 

Cause de déshérence Transfert à la CDC Acquisition par l’Etat
Décès du titulaire/assuré 3 ans à compter de la connaissance du décès 27 ans après transfert à la CDC
Compte inactif 10 ans après la dernière opération 20 ans après transfert à la CDC

3) Les Sanctions encourues par les institutions

  • Engagement de la responsabilité délictuelle et contractuelle de l’institution,
  • Sanctions financières (exemple de 3 compagnies d’assurance : 10, 40 et 50 millions d’euros)

– Anaïs Baleynaud &  Marion Latournerie 

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