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Notre droit contemporain souffre depuis longtemps d’un mal en état d’aggravation : une baisse constante de qualité dans la production de la loi.  Chacun peut en effet constater, pratiquement dans tous les domaines du droit,  la prolifération de textes mal préparés, à l’interprétation incertaine ou aux impacts pratiques si mal appréciés en amont que la loi est parfois remise en cause avant même d’avoir été appliquée.

S’ajoute à cela une certaine confusion entre agitation et réforme (ainsi, 20 % des articles du CGI sont modifiés chaque année [E. Orban, L’insécurité fiscale partagée par l’entreprise et son dirigeant, Revue droit fiscal, 2013, n° 19]) qui  nuit évidemment à l’œuvre législative.

Fallait-il compléter ce tableau navrant par des déclarations ministérielles brouillonnes jetant bien inutilement la confusion là ou auparavant régnait une certaine clarté ? Nul ne peut le souhaiter et pourtant le ministre Michel Sapin n’a pas hésité de revenir, en matière d’assurance-vie, sur la  doctrine de l’administration fiscale relative à l’intégration de la valeur des contrats non dénoués dans l’assiette taxable au droit de succession, d’une manière propre à jeter le doute  (Dépêches JurisClasseur 14 janvier 2016, Contrat d’assurance-vie : retour sur la réponse ministérielle Bacquet) : « Michel SAPIN, ministre des Finances et des Comptes publics, a décidé de revenir sur une doctrine fiscale décidée par l’ancien Gouvernement (réponse dite Bacquet datant de 2010). Depuis 2010, pour un contrat d’assurance vie souscrit dans un couple ayant opté pour le régime de la communauté, les enfants devaient acquitter des droits de succession au décès du premier époux, sans pour autant pouvoir bénéficier du contrat d’assurance vie. Désormais, le décès du premier époux sera neutre fiscalement pour les successeurs, notamment les enfants, les conjoints étant déjà exonérés. Ils ne seront imposés sur le contrat d’assurance vie qu’au décès du second époux et n’auront donc pas à payer de droits de succession dès le décès du premier époux sur un contrat non dénoué. Cette mesure bénéficiera à de nombreux épargnants et à leurs successeurs » (Sur l’analyse de ce texte, V. en particulier, F.  Fruleux, Quelle est la portée de la remise en cause de la doctrine Bacquet annoncée par le ministre des Finances ?, JCP N 2016, n° 03)

Cette prise de position est regrettable. D’abord parce qu’elle est très mal formulée : osons le mot, formellement, la déclaration est incohérente. Par conséquent sa lecture est de nature à jeter le doute sur le sens de la réforme envisagée.

Ensuite, parce qu’elle est inutile : la sécurité fiscale exige en effet la stabilité. Or, l’intégration de la valeur de rachat dans l’actif successoral était une donnée acquise depuis 2010 (ou au moins depuis son intégration au BOFIP en décembre 2012), parfaitement intégrée dans les stratégies patrimoniales justifiées, essentiellement, pour des raisons qui dépassent largement la question fiscale. Il n’y avait donc aucune urgence à intervenir en la matière.

I – Une déclaration confuse

Même en étant charitable, il est difficile de trouver des qualités au texte de la déclaration ministérielle. Celle-ci en effet, par sa rédaction même, laisse l’interprète perplexe.

Perplexité d’abord sur le domaine exact de la « neutralité » (les guillemets sont un ajout volontaire pour des raisons que j’exposerai plus loin) envisagé par le ministre.  En effet, la déclaration ne vise que  « les contrats souscrits par un couple ayant opté pour le régime de la communauté».

Que décider alors dans les autres hypothèses où la valeur de rachat du contrat est prise en compte dans le calcul de l’assiette des droits de mutation à titre gratuit ? Ainsi, actuellement,  « s’agissant d’un contrat souscrit avec des fonds propres du défunt qui n’est pas l’assuré, sa valeur de rachat doit donc être également portée à l’actif de sa succession » (BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20-20130709, n° 380).

La question se pose car la « remise en cause » de la position actuelle est, selon le ministre, nécessaire  pour une raison de justice  qui commande de ne pas intégrer dans l’assiette taxable une valeur dont l’héritier ne bénéficie pas immédiatement.

Or, c’est évidemment le cas dans l’hypothèse envisagée ci-dessus. Le contrat n’est pas dénoué, par hypothèse, et la valeur du contrat peut être attribuée entièrement à une autre personne que l’héritier du souscripteur (prenons par exemple l’hypothèse d’un contrat souscrit par un grand parent dont le petit enfant est tout à la fois l’assuré et le bénéficiaire de la garantie vie. Au terme prévu par le contrat, la valeur sera attribuée au petit enfant s’il est encore en vie : l’héritier du souscripteur prédécédé est donc taxé sur une valeur qui ne lui est pas attribuée, sans avoir pratiquement disposé du droit de racheter le contrat).

A s’attacher à la seule lettre du texte, le traitement fiscal de la valeur du contrat non dénoué serait donc à distinguer selon les hypothèses. « Neutralité » pour les contrats non dénoués souscrits par un époux commun en biens, prise en compte de la valeur dans les autres cas.

Il n’est pas certain de l’équité se trouve grandie par cette distinction.

Perplexité surtout sur le sens réel du terme « neutralité ». Naïvement, nous considérions, avant la lecture de cette déclaration, que la neutralité fiscale  signifiait l’absence d’impact pour le redevable de la situation visée par la neutralité. En d’autres termes, que la valeur du contrat non dénoué n’avait pas à être prise en compte  dans le traitement fiscal de la succession du conjoint de l’assuré. Telle était en effet, la signification de la neutralité fiscale avant la réponse ministérielle Bacquet.

Nous étions donc en droit de penser que le ministère souhaitait le retour à la situation antérieure aux réponses ministérielles Bacquet et Proriol.

Mais, en précisant que les héritiers du défunt « ne seront imposés sur le contrat d’assurance vie qu’au décès du second époux et n’auront donc pas à payer de droits de succession dès le décès du premier époux sur un contrat non dénoué »,  c’est une toute autre conception de la neutralité qui, à interpréter littéralement le texte, est développée : au premier décès, la valeur du contrat non dénoué continuerait d’être intégrée dans l’actif successoral taxable et par conséquent d’être prise en compte pour le calcul des droits dus par chaque héritier. Seul le règlement des droits dus serait différé.

Outre le détournement complet du sens de la neutralité, la solution retenue est incohérente par rapport aux raisons avancées pour justifier l’abandon de la position fiscale antérieure. En effet, dans la majorité des hypothèses, au décès du second époux, la valeur du contrat est attribuée aux héritiers de l’assuré. Or, ces héritiers ne sont pas nécessairement ceux du prédécédé… La solution retenue peut donc être de ce point de vue tout aussi « injuste » que celle qu’elle prétend combattre.

Enfin cette position est présentée comme une « mesure (qui) bénéficiera à de nombreux épargnants et à leurs successeurs »

On a peine franchement à discerner le bénéfice que cette mesure peut engendrer pour les héritiers du prédécédé puisque ceux-ci devront de toute façon payer les droits déterminés lors de la première succession, sans pouvoir manifestement choisir le moment où ils les règleront  puisque à lire le texte c’est obligatoirement au second décès que  les héritiers seront imposés….

En définitive, seul le retour à la situation antérieure aux réponses ministérielles Bacquet et Proriol constituerait une véritable mesure de neutralité et il nous faut espérer, sans trop y croire,  que tel était le sens de cette prise de position.

II – Une déclaration inutile

La déclaration du ministre est d’autant plus surprenante que de prime abord elle ne paraissait justifiée par aucune urgence particulière. La prise en compte de la valeur du contrat non dénoué dans les opérations civiles de liquidation de communauté ou de succession, est un fait certain depuis 1992, de sorte que pour éviter les conséquences d’une indivision post-communautaire ou successorale ou encore celles d’un partage immédiat, tout un ensemble de remèdes ont été depuis longtemps proposés, dont la mise en œuvre a pour effet de neutraliser les conséquences fiscales de l’intégration du contrat dans la masse taxable.

Proposer d’insérer une clause de préciput dans le contrat de mariage, inciter à la co-souscription avec dénouement au premier décès, voire suggérer au souscripteur survivant après le décès  de son époux de planifier des rachats sur le contrat non dénoué pour faire tomber la valeur en deçà des abattements légaux (ou de modifier la clause bénéficiaire de façon à augmenter le nombre d’abattement) ou encore conseiller de consentir une convention de quasi-usufruit, voilà des préconisation usuelles qui limitent ou suppriment le coût fiscal de l’intégration et qui continueront demain d’ être utilement préconisées puisque la position du ministre ne constitue sans doute pas, nous l’avons vu, une mesure favorable au redevable.

Faut-il pour conclure envisager la question différemment et reconsidérer la qualification de la valeur du contrat non dénoué ? Une branche de la doctrine milite en ce sens (Par exemple en dernier lieu, M. Thomas-Marotel, Intégration de la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie non-dénoués dans l’actif de succession des époux mariés en communauté, revue LEDA 2016, n°2) : pour celle-ci la valeur du contrat non dénoué souscrit par un époux commun en bien devrait s’analyser comme un propre à son auteur, le financement de la communauté étant compensé par le mécanisme des récompenses. En clair, il s’agirait d’aligner, quant à la qualification de la valeur au regard des règles de la communauté, le régime de l’assurance vie avec droit de rachat sur celui des contrats qui ne font pas naître un tel droit.

Nous ne sommes pas favorables à un tel changement. D’une part, une telle position ne règlerait pas la difficulté (puisqu’une partie de la valeur du contrat se retrouverait dans l’actif taxable par l’intermédiaire de la récompense due à la communauté). Ensuite, elle serait de nature à soulever quelques difficultés d’application, en particulier en cas de souscription conjointe. Enfin elle nous semble contraire à l’évolution du contrat d’assurance-vie. Ce qui est en cause c’est la valeur économique du droit de rachat.  Le droit de rachat est évidemment personnel, mais rien ne justifie que la valeur de rachat échappe à l’emprise de la communauté. Si le souscripteur rachète en cours de contrat, comment justifier que cette valeur financée par la communauté pour un risque pensée par rapport au couple échappe à la communauté ? (le mécanisme des récompenses pouvant  être neutralisé ?) ; Si donc le produit de rachat est commun, pourquoi la valeur du contrat ne le serait-elle pas ?


Michel Leroy

Maître de conférences HDR
Université Toulouse capitole
Responsable Master 2 ingéniérie du patrimoine

 

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