Pôle Patrimonial Professionnel

Par Jean-Noël Chaumont

A l’occasion de la cession d’un bien appartenant à la communauté, et dans l’optique de replacer les fonds issus de cet arbitrage dans le cadre de l’assurance-vie, se pose la question des conditions de souscription du contrat, notamment qui doit en être le souscripteur et comment doit se dénouer le contrat en cas de décès du ou des souscripteurs.

Par exemple, Madame et Monsieur Durand, mariés sous le régime légal, viennent de vendre un bien immobilier dont le prix de cession net est de 200.000 €. Ils souhaitent réinvestir la totalité de cette somme dans l’enveloppe juridique et fiscale de l’assurance-vie, celle-ci correspondant parfaitement à leur double souci de revenus réguliers complémentaires à terme et de transmission de ce capital selon leur volonté commune.
Plusieurs solutions, toutes juridiquement acceptables, se présentent aux époux mariés sous le régime de la communauté :

  • souscription simple d’un contrat par l’un des deux conjoints,
  • souscription « croisée » de deux contrats, l’un par Madame et l’autre par Monsieur avec désignation du conjoint bénéficiaire,
  • co-souscription d’un seul contrat conjointement par Madame et Monsieur, avec dénouement de ce contrat soit au premier soit au second décès.

Il y a lieu de noter tout d’abord que la difficulté réside ici, non dans la capacité juridique de souscrire (chacun des époux dispose de cette capacité sous réserve de la non existence d’une mesure de protection judiciaire), mais dans le pouvoir de disposer seul(e) des fonds servant à payer les primes prévues au contrat. En effet, dans l’exemple précité, il ne fait pas de doute que la souscription envisagée doit être qualifiée d’acte de disposition, et non de simple administration (qui ne peut concerner que le paiement de primes à l’aide de l’excédent des revenus). Dès lors, en vertu de l’article  1421 du code civil, chacun des époux dispose de la capacité (en gestion concurrente) sur les biens communs, sous réserve naturellement de « répondre des fautes qu’il commettrait dans sa gestion ou d’une intention frauduleuse (Mémento pratique Francis Lefebvre Patrimoine 2009-2010 N° 28160) ». Néanmoins, il faudra veiller à ce que la souscription envisagée ne s’apparente pas à une libéralité entre vifs (par exemple, en cas d’absence de désignation d’un bénéficiaire ou plus rarement au cas où la désignation bénéficiaire avec charges serait assimilable à un acte à titre onéreux) ce qui dans ce cas exigerait le concours conjoint des époux en vertu des articles 1422 et 1427 du code civil.

En second lieu, et au-delà même du régime matrimonial de communauté, l’origine des fonds servant au paiement de la prime d’assurance doit être regardée de près par le Conseiller. En l’occurrence, dans notre exemple, la nature « commune » des fonds ne fait aucun doute, et la volonté des époux Durand est certainement de conserver le caractère « commun » de cet actif patrimonial. Ce qui, de toute évidence, sera le cas jusqu’au moment du dénouement du contrat…
Examinons maintenant les solutions envisageables pour souscrire :

Première possibilité : l’un des conjoints souscrit seul le contrat, il en est l’assuré, et désigne donc le ou les bénéficiaires. Pendant la durée de vie du contrat, il conserve donc seul la capacité de gestion de celui-ci, et son conjoint se trouve écarté de toute « capacité » sur cet actif patrimonial. Si en droit des assurances, aucune disposition ne fait obstacle à cette gestion exclusive, on peut s’interroger sur l’opportunité d’exclure ainsi le conjoint non souscripteur de la gestion de ce contrat, alors même qu’il a contribué financièrement à hauteur de la moitié au paiement des primes versées à la conclusion du contrat. Ce qui est critiquable tant sur la forme que sur le fonds ! Notons encore qu’en vertu du code des assurances, le souscripteur dispose seul de la prérogative personnelle de la désignation bénéficiaire, ce qui a pour effet pervers de priver de sa liberté de disposer au profit d’un tiers le conjoint non souscripteur … sur une somme qui lui appartient au titre de la communauté ! Encore que, faut-il le rappeler, en l’espèce, l’analyse jurisprudentielle se divise entre deux positions : la désignation bénéficiaire constituerait une donation indirecte, et donc le conjoint non souscripteur bénéficierait de l’action en nullité de l’article 1427 et de l’action en inopposabilité de l’article 1421 du CC pour défaut de consentement, ou, à l’opposé, la désignation bénéficiaire ne serait qu’une libéralité, mais pas une donation, ce qui aurait pour effet de faire naître une récompense à la communauté dans la succession future du souscripteur. Dans les deux cas, une telle souscription présente beaucoup plus d’inconvénients que d’avantages par l’insécurité juridique qu’elle génère!
Au dénouement du contrat par décès du souscripteur, le choix de la clause bénéficiaire influera naturellement sur la qualification du capital décès : si le conjoint de l’assuré est bénéficiaire, celui-ci, rappelons-le, recueille le capital en propre en vertu de l’article L 132.16 du Code des assurances. Il n’y a pas de difficulté particulière en ce cas. Par contre, si le bénéficiaire n’est pas le conjoint, il ne fait guère de doute que la communauté à droit à récompense, dès lors que les primes ont été prélevées sur un capital préexistant, le débat restant néanmoins ouvert quant au calcul de ce droit : s’applique-t-il  au capital décès versé ou seulement aux primes versées ?
Si la communauté est dissoute avant le décès de l’assuré (soit par le divorce, soit par le décès du conjoint non souscripteur et non assuré), la valeur du contrat fait partie de l’actif commun et il est en tenu compte dans la liquidation de la communauté (arrêt Praslicka CC 1ere civile du 31.03.1992 et suivants).
Nous le voyons bien, cette première possibilité porte en elle-même suffisamment d’insécurité juridique et de difficultés lors du dénouement du contrat ou lors de la dissolution de la communauté pour ne pas être simplement déconseillée. Malheureusement, nous sommes obligés de constater que chaque jour, dans les Banques, dans les Compagnies d’Assurances, cette modalité de souscription est retenue sans même le début d’une analyse pertinente…

Deuxième possibilité : souscription « croisée » de 2 contrats par chaque conjoint à hauteur de la moitié du capital arbitré. Le conjoint du souscripteur assuré est désigné bénéficiaire de premier rang. Solution fréquemment recommandée par nombre de praticiens.
Plus logique « économiquement » que la première solution envisagée, car « semblant » respecter l’origine commune des fonds, il n’en demeure pas moins que nous sommes, comme dans la précédente configuration, en présence de deux contrats « mono-souscripteur » alimentés par des deniers communs, et que nous retrouvons dans cette solution toutes les limites et inconvénients précédemment relevés. Par exemple, pour le contrat souscrit par Monsieur et dont Madame est désignée bénéficiaire se poseront deux difficultés : en cas de divorce, le contrat sera réputé commun. Si Madame venait à décéder en premier, ce contrat, non dénoué, devrait être inclus pour moitié dans le règlement de la succession de Madame, avec les conséquences civiles que cela implique.
Cette deuxième solution ne résout pas de façon totalement satisfaisante les conséquences civiles de l’origine initiale des deniers alimentant les deux contrats.

Troisième possibilité : un seul contrat en adhésion conjointe, avec un ou deux assurés, Madame et Monsieur, et dénouement du contrat au premier ou au second décès.
Il s’agit là incontestablement de la solution la plus appropriée pour respecter à la fois l’origine des deniers et le régime matrimonial. Bien évidemment, la souscription du contrat étant un acte de disposition, il sera administré sous le régime de la cogestion, les deux assurés devant désigner ensemble le ou les bénéficiaires (qui peut être en premier rang le conjoint survivant).
La seule vraie « limite » à la co-souscription est que par principe, si le contrat comporte deux assurés, nous ne connaissons pas l’ordre de décès de ceux-ci. Selon la situation patrimoniale (âge respectif des conjoints, besoins financiers du conjoint survivant), cette incertitude sur l’ordre des décès peut s’avérer pénalisante, tant sur le plan financier que fiscal. Aussi, quelquefois, les contrats en adhésion conjointe ne prévoient qu’un seul assuré, ce qui permet de « contourner » cette difficulté. Si cette solution apporte une réponse financière satisfaisante, assurant au conjoint bénéficiaire le plus fragile financièrement, en cas de décès de l’assuré, le versement immédiat d’un capital conséquent dont il sera le seul attributaire, elle comporte aussi ses limites : par exemple, en cas de prédécès du conjoint bénéficiaire, la moitié de la valeur de rachat du contrat (alors non dénoué) fera partie de la succession…
Si le contrat en co-adhésion prévoit deux assurés, alors il convient de s’interroger s’il convient de prévoir un dénouement au premier ou au second décès.

Les conséquences civiles et fiscales de ce dénouement sont connues :

–    si celui-ci se dénoue au premier décès, le conjoint survivant bénéficiaire du contrat reçoit le capital décès. Civilement ce contrat échappe naturellement aux règles habituelles de la succession par la grâce de l’article L 132.13 du code des assurances. Fiscalement, et depuis la loi TEPA, le capital est reçu sans aucun droit de succession ni prélèvement forfaitaire, les articles 990 I et 757 B du code général des impôts ne trouvant plus à s’appliquer. En outre, nous rappelons que le conjoint bénéficiaire conserve, si sa situation financière l’autorise, la possibilité de renoncer au bénéfice du capital décès et ainsi en faire profiter les bénéficiaires en second qu’on aura pris la précaution de désigner à la souscription du contrat, voire ultérieurement.

–    Si celui-ci se dénoue au second décès, il convient de regarder essentiellement ce qui se passe au premier décès : le contrat n’est pas dénoué, il est considéré comme un actif commun à inclure (au moins civilement) dans la succession du souscripteur décédé pour la moitié de sa valeur. Pour éviter ce désagrément, la pratique des Conseillers à largement promu la clause matrimoniale de préciput en pleine propriété sur le contrat, évitant ainsi l’inclusion de cette moitié du contrat dans la succession. Le souscripteur survivant devient le seul titulaire du contrat, avec toutes ses prérogatives ; il conviendra alors simplement de remettre à jour si nécessaire la clause bénéficiaire en tenant compte de la nouvelle situation patrimoniale de l’assuré.

On l’aura compris, cette troisième possibilité a largement notre préférence. Néanmoins, elle nécessite une réflexion patrimoniale préalable pour fixer sereinement les conditions de souscription. Car au-delà des aspects civils et fiscaux, le plus important est d’apporter une solution économique à une problématique spécifique définie par les objectifs tant du souscripteur que du ou des bénéficiaires.

Jean-Noël Chaumont – 23.06.2010

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