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Lorsque la clause bénéficiaire est stipulée  à titre gratuit, les personnes désignées doivent être capables de recevoir une libéralité. De ce principe de droit commun, il en résulte que le souscripteur ne peut pas valablement désigner certaines personnes physiques frappées d’une incapacité spéciale de jouissance. Ainsi, il est de jurisprudence constante que l’incapacité de recevoir fulminée par l’article 909 du Code civil s’applique également aux assurances-vie. Selon ce texte,  Les membres des professions médicales et de la pharmacie, ainsi que les auxiliaires médicaux qui ont prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ne peuvent profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de celle-ci.
Les arrêts de la Cour de cassation étant relativement rares sur le domaine d’application de ce texte, la décision du 04 novembre 2010 (Cass. 1ère civ., 4 novembre 2010, n° 07-21303, à paraître au bulletin) mérite de retenir l’attention.
En l’espèce le souscripteur d’une assurance-vie  qui avait préalablement désigné le légataire universel comme bénéficiaire, a, par la suite , par avenant, substitué à cette dernière, sa psychiatre-psychanalyste (et, à défaut,  le concubin de celle-ci).

Au décès du souscripteur assuré  causé par le cancer dont elle était atteinte , le légataire universel a poursuivi, sur le fondement de l’article 909 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006, l’annulation de la modification de la clause bénéficiaire, soutenant que la clause constituait une libéralité consentie à un médecin ayant traité la défunte au cours de sa dernière maladie.
La Cour d’appel saisie du litige fait droit à sa demande et la Cour de cassation approuve partiellement.

En effet, le souscripteur était décédée  « des suites d’un mésothéliome du poumon révélé en 1995, les juges du fond ont constaté que Mme Z… avait été consultée à plusieurs reprises par Nicole X… de 1995 à 1997 et qu’ensuite, elle lui avait donné de nombreuses consultations gratuites jusqu’au mois de juillet 1999… Ils ont retenu, l’applicabilité au litige de l’article 909 du code civil n’étant pas contestée, que, si, en sa qualité de psychiatre-psychanalyste, Mme Z… n’avait pu traiter Nicole X… pour le cancer dont elle était atteinte, elle avait apporté à sa patiente un soutien accessoire au traitement purement médical mais associé à celui-ci, lui prodiguant, parallèlement au traitement d’oncologie, des soins réguliers et durables afférents à la pathologie secondaire dont elle était affectée en raison même de la première maladie dont elle devait décéder et dont la seconde était la conséquence ; que la cour en a exactement déduit que Mme Z… avait soigné Nicole X…, pendant sa dernière maladie, au sens de l’article 909 du code civil, de sorte qu’elle était frappée d’une incapacité de recevoir à titre gratuit« .

L’arrêt cependant réforme la décision des juges du second degré sur un point très important. Pour la Cour d’appel,  l’application de l’article 909  du Code civil à la clause emporte la nullité de l’avenant dans sa totalité. Pour la Cour de cassation,l’arrêt d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision en ne se prononçant pas sur la cause ayant déterminé l’assuré à souscrire l’avenant au bénéfice (secondaire) du concubin.

Nous ne traiterons ici que la question de l’application de l’article 909.

Notons d’abord que l’arrêt a été rendu sous l’empire du droit antérieur à la loi du 23 juin 2006. Le texte applicable était alors ainsi rédigé :

Les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers de santé et les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu’elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie.

Naturellement la modification du texte ne remet pas en cause la solution de l’arrêt.

L’application de l’article 909 du Code civil soulève habituellement deux difficultés ne nature différente, celle relative à la dernière maladie, et celle relative à l’identité du gratifié. C’est cette seconde difficulté qui est au cœur de l’arrêt.

Selon l’auteur du pourvoi, l’interdiction faite aux docteurs en médecine de profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires des personnes qu’ils ont soigné pendant la maladie dont elles sont décédées, n’a lieu de s’appliquer qu’aux médecins ayant dispensé un traitement en vue d’assurer la guérison du patient.

Selon la jurisprudence,sont visés par le texte, les docteurs en médecine ayant de façon continue et  régulière apporté des soins établissant l’existence d’un traitement médical.

Traitement qui doit être en rapport avec l’affection qui a emporté le patient (même si le texte ne le précise pas expressément, mais une telle condition résulte de son fondement, celle d’éviter l’emprise d’un médecin soignant le patient d’une maladie que ce dernier sait mortel).

Est-ce le cas pour un psychiatre alors que selon le pourvoi, aucun soin psychothérapeutique n’avait été prescrit dans le cadre de la prise en charge du cancer de la malade ?

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir considéré que l’article 909 était applicable dès lors que le traitement servait au traitement d’une pathologie secondaire découlant du cancer;

En effet, en l’espèce, le gratifié  « prodiguait, parallèlement au traitement d’oncologie, des soins réguliers et durables afférents à la pathologie secondaire dont elle était affectée en raison même de la première maladie dont elle devait décéder et dont la seconde était la conséquence ».

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