Pôle Patrimonial Professionnel

Par Jean-Noël Chaumont

Chaque année, les quelque 9.000 notaires présents dans les 4.500 offices que compte notre pays reçoivent environ 20 millions de personnes, établissent près de 4 millions d’actes authentiques et traitent des capitaux d’environ 600 milliards d’euros (source : Conseil supérieur du notariat, mai 2011). De quoi, évidemment, développer une activité de conseil patrimonial fructueuse, d’autant plus que le notaire, dans l’exercice quotidien de sa fonction, établit avec ses clients une relation de confiance assise à la fois sur son statut d’officier ministériel délégataire de la puissance publique, sur sa proximité avec le cercle familial et sur sa position incontournable dans de nombreux actes déclencheurs de conseil patrimonial : rédaction d’un contrat de mariage, règlement d’une succession, vente immobilière, donation, cession de l’entreprise…

Légitimité.

Il est donc tout à fait naturel que le notariat se positionne comme un acteur incontournable parmi les professionnels du patrimoine. Si la multiplicité des tâches exercées au sein de l ’étude, si le manque de temps et l ’absence de clercs collaborateurs formés au métier de l’ingénierie patrimoniale constituent un frein indéniable au développement de cette activité dans la plupart des études, notamment les plus petites, il n’en demeure pas moins que, historiquement, les notaires, même de façon minoritaire, ont suprendre une place à part dans le conseil patrimonial, essentiellement à travers ses aspects juridiques et fiscaux, pour apporter aux familles la sécurité nécessaire aux bonnes décisions à prendre en matière d’investissement ou d’arbitrages d’actifs, notamment immobiliers.

Une activité notariale encadrée.

C’est dans cet esprit que le Conseil supérieur du notariat (CSN) a adopté, en octobre 2008, un ensemble de règles déontologiques visant à délimiter le champ d’action du notaire en matière de gestion patrimoniale : La Charte du notaire, conseil patrimonial. Le CSN a notamment rappelé que « la fonction de conseil est au coeur du métier de notaire. Elle est d’ailleurs pleinement reconnue par la jurisprudence aujourd’hui plus attendue et souhaitée par l’opinion … Il est donc essentiel de mieux dispenser ce conseil attendu et de l’exprimer dans la relation notaire-client. » Cette Charte a le mérite de baliser de façon précise le cadre d’exercice du notaire, spécialiste de l’organisation patrimoniale. Elle prévoit à la fois des obligations et des interdictions. Citons, parmi ces obligations, la rédaction écrite de toute consultation patrimoniale, prenant valeur d’acte enregistré aux rangs des minutes de l’étude et devant faire l’objet, au préalable, de la signature par le client d’une lettre de mission contenant les honoraires que l’officier ministériel percevra en rémunération de son conseil écrit.

Si le domaine d’intervention du conseil patrimonial notarial est extrêmement vaste (et rappelons que les notaires sont naturellement titulaires de la compétence juridique appropriée de par leur formation obligatoire), il est néanmoins une « muraille de Chine » que le notaire ne peut franchir : celle de l’intermédiation. La charte précise ainsi que « le conseil patrimonial ne devra jamais déboucher sur une opération d’intermédiation telle qu’elle est définie par l’article L. 511-1 de la loi n°2005-1564 du 15 novembre 2005. Le non-respect de cette interdiction placerait le notaire en infraction aux dispositions de la loi susvisée et du décret du 19 novembre 1945 pris pour l’application du statut du notariat ». Ainsi, le notaire devra se limiter à, « subsidiairement, indiquer les placements ou investissements spécifiques résultant de ces préconisations patrimoniales ». Conséquemment à cette interdiction, l’officier ministériel ne peut naturellement percevoir aucune rémunération sous forme de commissions versées par des intermédiaires fournisseurs de produits bancaires, financiers ou immobiliers. Sa seule rétribution sera donc, conformément à la lettre de mission acceptée par le client, les honoraires de conseil perçus dans le cadre de l’article 4 du décret du 8 mars 1978.

Un partenariat intelligent…

Peut-on, dès lors, dans la cadre de cette charte, envisager une collaboration fructueuse entre notaire et conseiller en gestion de patrimoine indépendant (CGPI) ? Et si oui, comment trouver pour chacun des partenaires un mode opératoire respectant à la fois l’éthique notariale, la déontologie professionnelle du conseiller indépendant et l’équilibre économique de cette relation de partenariat ? En premier lieu, il convient de répondre à cette question : pourquoi le notaire aurait-il intérêt à travailler aux côtés d’un CGPI ? Que peut-il rechercher dans cette relation tout en se gardant de tout risque professionnel, notamment vis-à-vis de ses clients ? Comment l’indépendant peut-il se positionner au sein de l’étude ? L’obligation pour le notaire d’établir sous son sceau une consultation écrite respectant en tous points l’approche patrimoniale globale se heurte aujourd’hui à plusieurs difficultés : formation imparfaite dans certains domaines liés à cette activité (marchés financiers, assurance vie, par exemple), absence d’une méthodologie maîtrisée et d’outils spécifiques optimisant la réalisation de cette étude, temps nécessaire à sa rédaction écrite parfois incompatible avec la charge de travail… Aussi, cette obligation décourage ou éloigne beaucoup de notaires qui, malgré l’intérêt qu’ils portent à cette activité (source de fidélisation de leur clientèle), ne sont pas proactifs face à la demande et à l’attente indéniable de leurs clients investisseurs ou chefs d’entreprises. Par ailleurs, spécialiser un clerc de l’étude dans ce domaine pose un réel problème économique aux structures de taille moyenne ou petite…

… et équilibré.

Le CGPI, à la condition expresse qu’il maîtrise parfaitement la rédaction d’une consultation patrimoniale écrite conforme à l’obligation de conseil du notaire, peut ainsi répondre à cette attente en s’inscrivant dans une interprofessionnalité apportant une aide précieuse dans le développement de l’activité de l’étude. En proposant au notaire de l’accompagner tant dans la découverte patrimoniale du client que dans la mise en place d’une stratégie juridique, financière et fiscale adaptée aux objectifs du client, il pourra alors, en accord avec son partenaire, préparer lui-même cette consultation écrite, et avant sa remise au client, demander au notaire une validation complète de celle-ci conduisant l’officier ministériel à apposer son sceau sur le document écrit remis au client et ainsi à engager sa propre responsabilité professionnelle. Conformément à la charte ci-dessus évoquée, cette consultation s’interdit toute prescription nominative d’un produit spécifique, les solutions envisagées (produits d’épargne financière, assurance vie, immobilier) devant rester « génériques » et non spécifiques à un fournisseur identifié. Dans ce mode opératoire, le CGPI agit pleinement sous l’autorité et le contrôle du notaire, dans le rôle d’un consultant, voire d’un clerc « à temps partagé » de l’étude.

Ainsi, seul le notaire perçoit les honoraires de son client, tels qu’annoncés dans la lettre de mission, et le CGPI peut alors facturer directement au notaire le temps passé sur le dossier traité. La pratique observée sur le terrain montre que pour une consultation patrimoniale « classique », sur la base par exemple de 2.000 euros HT facturés par le notaire à son client, le CGPI pourra valoriser sa prestation au notaire sur la base de 1.200 euros HT, soit 60 % des honoraires prévus dans la lettre de mission signée par le client.

Effets de levier.

La consultation patrimoniale ainsi établie conjointement par le notaire et le CGPI permettra, dans un second temps, à chacun de trouver les « effets de levier » nécessaires à leur propre activité. Pour le notaire, la mise en place juridique des solutions préconisées générera des actes notariés tels que changement ou aménagement du régime matrimonial, rédaction de Pacs, donation entre époux, donation simple ou partage, pacte Dutreil, rédaction de testament, de mandat de protection future, voire future vente immobilière faisant suite aux propositions d’arbitrages patrimoniaux envisagées dans la consultation patrimoniale. On peut par exemple relever qu’en moyenne, chaque consultation réalisée débouche très fréquemment sur deux ou trois actes notariés immédiats ou futurs… Ces actes sont naturellement, pour le notaire, sources à la fois de fidélisation de ses clients et d’augmentation immédiate de ses émoluments ou honoraires, et ils viennent conforter la rentabilité du conseil patrimonial dans le respect intégral de la charte notariale. Une fois la consultation patrimoniale remise au client sous le sceau de l’étude, rien n’interdit alors au CGPI. de proposer au client du notaire de l’accompagner aussi dans le choix et la mise en place des différentes solutions financières ou immobilières préconisées : cette seconde étape, hors responsabilité du notaire, devra alors faire l’objet, dans le cadre du statut de conseil en investissements financiers (CIF) et/ou courtier en assurances, d’une seconde lettre de mission, cette fois signée entre le client et le CGPI, sans intervention du notaire. Le conseiller pourra ainsi trouver sa propre rentabilité financière et accompagner le client dans la réalisation concrète des opérations financières induites par la consultation patrimoniale du notaire.

Promouvoir l’activité « conseil patrimonial » au sein de l’étude…

L’autre difficulté pour le notaire est le « faire-savoir » auprès de sa clientèle. Comment, à partir du flux conséquent de clients venant à l’étude, promouvoir cette activité ? Pour que les épargnants investisseurs sollicitent leur notaire sur ce conseil patrimonial, encore faut-il qu’ils identifient celui-ci comme étant apte et disponible pour ce conseil… Or, ni l’art de la communication « externe », ni même la valorisation de leur savoir-faire ne sont véritablement maîtrisés par la plupart des notaires. Pudeur sans doute, mais aussi manque de réflexe commercial… Et dans ce domaine, le CGPI peut être d’un grand secours ! Il appartiendra ainsi à l’indépendant d’apporter à son partenaire toute une panoplie de moyens techniques pour développer cette activité au sein de l’étude : réunions de clients à l’étude sur un thème patrimonial, sensibilisation automatisée des clients sur ce thème par une lettre ou au moyen d’un message spécifique à chaque visite à l’étude et lors de la mise en place d’un acte notarié, formation des clercs par le CGPI sur des thèmes précis liés à la gestion de patrimoine, développement du site internet de l’étude… L’efficacité recherchée consiste, à partir des actes courants réalisés à l’étude(contrat de mariage, donation-partage, règlement d’une succession, vente immobilière…), à interpeller le client sur les conséquences patrimoniales de ces actes et l’inciter à réaliser avec son notaire un audit patrimonial complet préalable à l’acte envisagé. La proximité du notaire avec son CGPI sera alors très importante et se construira au fur et à mesure des dossiers traités ensemble. Et cette proximité profitera pleinement au client de l’étude qui trouvera alors dans cette relation partenariale la sécurité juridique, économique et fiscale qu’il est en droit d’attendre de la part de l’officier ministériel. Pour le CGPI, ce type de partenariat, avec cette implication « au quotidien » au sein de l’étude, est naturellement très valorisant. Il sera aussi un moyen de sécuriser le développement du cabinet et l’exigence de sécurité patrimoniale du notaire encadrera le professionnalisme du CGPI. Tous ceux qui ont su mettre en place une relation privilégiée de ce type en reconnaissent la valeur ajoutée. Si le développement de cette activité d’organisation patrimoniale semble aujourd’hui faire l’unanimité dans la profession notariale, elle se heurte néanmoins à de très nombreux freins qui sont autant de « bonnes raisons » pour que le notaire ne profite pas à plein des opportunités qui lui sont ainsi ouvertes : le recours à un partenaire fiable répond à cette difficulté et cette interprofessionnalité intégrée au sein de l’étude a d’ores et déjà su montrer sa propre rentabilité.

Article également disponible dans la revue Agefi-Actifs n°541

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