Pôle Patrimonial Professionnel

Par Jean-Noël Chaumont
Gestionnaire de patrimoine, Formateur pôle patrimonial professionnel

La cession à titre onéreux d’une entreprise sociétaire (SARL, SA, SAS) par ses principaux dirigeants et actionnaires historiques engendre, notamment pour ses créateurs, le paiement d’un impôt de plus-values dont le poids financier peut-être très important.
Cela conduit très souvent à procéder, avant la cession, à une donation ou une donation-partage (partielle ou totale) des titres de sociétés au(x) enfant(s), voire aux petits-enfants  du Chef d’entreprise et de son conjoint, ceci permettant notamment de minorer sensiblement l’impôt en toute légalité et sans risque de requalification fiscale (à condition de respecter un « timing » plusieurs fois rappelé tant par le Comité de l’Abus de Droit Fiscal que par la jurisprudence) (Sur ce point V. ici. Ajout M.L.)
Cette donation (en pleine ou nue-propriété, le donataire se réservant l’usufruit afin de se maintenir un train de vie décent par la perception de revenus complétant son statut social après cession) a pour effet de « gommer » la plus-value et de supporter en lieu et place de l’impôt de plus-value au taux proportionnel (IR+ prélèvements sociaux), les droits d’enregistrements sur la donation en profitant naturellement des abattements légaux (156.974 € par donataire en ligne directe en 2010).
Si les titres donnés ont fait l’objet d’un démembrement, l’acte de donation doit prévoir  les modalités de remploi des sommes démembrées libérées par la cession ultérieure des titres de société. En fonction des objectifs patrimoniaux tant du Chef d’entreprise que de celui de son conjoint, le choix d’un remploi (sur des supports financiers ou immobiliers) en démembrement préservant à la fois les intérêts de l’usufruitier (souvent accompagné d’un usufruitier en « second » à  savoir le conjoint) et ceux des nus-propriétaires, s’avère très pertinent dans la durée et présente moins de risque et d’inconvénients financiers qu’un quasi-usufruit ou une répartition du prix de vente entre cédants.
Se pose alors la question du type de support à utiliser pour ce réinvestissement démembré : Immobilier (par exemple parts de SCPI de rendement démembrées particulièrement adaptées à ce type de situation patrimoniale) ou valeurs mobilières (par exemple des obligations, mais difficulté d’accès du marché des obligations en direct et risque sur la sensibilité des titres pour le nu-propriétaire) ou dans le cadre de l’assurance, soit en souscrivant un contrat d’assurance-vie démembré soit en privilégiant le contrat de capitalisation démembré.
Nous ne reviendrons pas ici sur le débat juridique – non clos à ce jour – de la validité d’un contrat d’assurance-vie en remploi de capitaux démembrés. Néanmoins, les réserves exprimées par les civilistes sur la capacité juridique de démembrer une « stipulation pour autrui » conduisent très fréquemment à privilégier plutôt la souscription de contrats de capitalisation démembrés qui eux, ne souffrent d’aucune réserve juridique quant au remploi de sommes démembrées.
En présence de plusieurs donataires nus-propriétaires, on prendra juste la précaution de souscrire un contrat par nu-propriétaire (ceci afin de laisser la liberté future à chaque nu-propriétaire, lors du décès de l’usufruitier, de continuer ou d’arbitrer le contrat de capitalisation à son profit) et sans doute de prévoir un usufruit « réversible » au conjoint survivant pour permettre le maintien du niveau de vie de celui-ci.
Il conviendra aussi, par une convention sous-seing privée, ou mieux par un acte notarié (notamment en présence de plusieurs nus-propriétaires dont les intérêts respectifs peuvent diverger), de régler les rapports financiers entre usufruitier et nu-propriétaire, et notamment les modalités de perception des « revenus  financiers » par l’usufruitier (étant dans le cadre de l’assurance de capitalisation, ce support ne génère pas de « revenus » mais des « produits » nécessitant pour être perçus de prévoir des rachats partiels réguliers). Nous rappellerons ici que la qualification fiscale actuelle de ces rachats au profit de l’usufruitier, imposés à l’impôt sur le revenu selon l’instruction fiscale du 31.12.1984 en l’absence de toute autre modalité édictée par l’administration, est néanmoins susceptible d’être critiquée (voire d’être remise en cause…) du fait même de la contradiction juridique entre « produits » du contrat (plutôt assimilable à une plus-value), rachat partiels successifs et droits financiers de l’usufruitier.
Nonobstant cette réserve d’ordre fiscal, le contrat de capitalisation est parfaitement adapté à la stratégie patrimoniale visée : préserver autant les intérêts de l’usufruitier que ceux du nu-propriétaire (qui bénéficiera d’une garantie sur le capital ainsi placé s’il est choisi un contrat investi sur un fonds en € et si les rachats partiels de l’usufruitier sont cantonnés aux seuls produits du contrat, frais de gestion et contributions sociales déduits).
En outre, il permet de répondre à une attente spécifique du vendeur  lors de la cession de l’entreprise : la plupart du temps, celle-ci est conditionnée à une « garantie de passif » représentant une fraction plus ou moins importante du prix de vente (souvent 10 % voire plus, et ce sur une durée comprise entre 24 et 60 mois). Pour que l’acheteur bénéficiaire de la garantie de passif  soit certain d’être couvert financièrement en cas d’appel à cette garantie, il requiert du vendeur la plupart du temps une caution bancaire couvrant le risque financier, en montant, et dans la durée. Cette garantie est naturellement payante : souvent de l’ordre de 1% par an.
Pour éviter ce désagrément, le vendeur peut aussi proposer à l’acheteur une « délégation » partielle, à hauteur de l’engagement portant sur le passif, de ses contrats de capitalisation démembrés. Pour cela, il conviendra évidemment que le nu-propriétaire donne son accord (cela ne pose en vérité aucune difficulté particulière compte tenu de la nature particulière du droit réel dont dispose le nu-propriétaire sur ce capital). Cette délégation, conclue entre les cédants, l’acheteur, et la Compagnie d’assurance présente un triple intérêt :
1.    Gratuité de l’acte de délégation (sauf les éventuels droits de timbres de l’acte de délégation)
2.    Efficacité juridique de l’acte de délégation : l’assureur s’engage, à première demande de l’acheteur, et sans avoir à se positionner dans le contentieux éventuel existant entre cédant et repreneur, de régler la garantie de passif sans délai.
3.    Gain patrimonial : outre d’éviter le coût financier de la caution bancaire, les cédants peuvent immédiatement placer leurs fonds dans une optique long terme répondant au démembrement des sommes libérées par la vente, et ainsi choisir le meilleur support d’investissement, alors que dans le cas d’une caution bancaire il est exigé dans la plupart des cas un « blocage » des sommes correspondantes à la garantie de passif (sur la durée de cette garantie) sur un support monétaire garanti de type compte à terme (aujourd’hui très peu rémunérateur et qui plus est immédiatement soumis à l’impôt sur le revenu).
Par précaution, l’acte de délégation prévoira naturellement la possibilité, pour les contrats de capitalisation nantis, d’effectuer les rachats partiels (cantonnés aux produits nets du contrat) prévus lors de la souscription : le repreneur bénéficie lui-même, par le jeu de la délégation, pendant la durée de la garantie de passif, de la garantie délivrée par l’assureur sur le capital net investi en fonds en €.
Cette solution pertinente doit faire partie de « l’arsenal » juridique du Conseiller chargé d’accompagner le chef d’entreprise dans ses démarches pré et post- cession : il fait ainsi preuve d’une ingénierie patrimoniale opportune et se démarque ainsi encore plus fortement de ses « concurrents » habituels sur ce type de dossier : les banquiers et les avocats fiscalistes.
JN Chaumont Novembre 2010

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