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La libéralité-partage est l’acte par lequel toute personne peut faire la distribution et le partage de ses biens et de ses droits au profit de ses héritiers présomptifs ou entre descendants de degrés différents. L’objectif est d’anticiper, ou du moins de limiter, le partage successoral en fournissant aux donataires copartagés le montant de leur part héréditaire.

Ces mécanismes représentent un outils particulièrement efficace pour atteindre les objectifs  du client quant à la transmission de son patrimoine, compte tenu des intérêts qu’ils présentent.

Le premier avantage est l’absence d’indivision successorale ou au moins la diminution de celle-ci. En effet, bien que les règles de l’indivision légale aient été assouplies en 2006, il est toujours préférable d’éviter une indivision, surtout que l’on sait qu’en pratique, les partages successoraux sont trop rarement réalisés. Le deuxième avantage est qu’ils permettent de choisir l’héritier qui recueillera un bien particulier du patrimoine du disposant (une entreprise par exemple). Un troisième avantage réside dans la souplesse des mécanismes, que nous développerons par la suite. Enfin, les partages qu’ils réalisent ne peuvent pas être remis en cause par les donataires, et cela est particulièrement vrai pour les testaments-partages.

Le but de cet article n’est pas de rappeler de manière exhaustive les conditions de validité ou les effets des libéralités-partages ; ces premières règles sont contenues aux articles 893 et suivants du Code civil, et les secondes aux articles 1075 et suivants du même code.

Nous reviendrons uniquement sur quelques différences entre les deux mécanismes, à savoir donation-partage et testament-partage, lesquelles peuvent induire le choix de la libéralité en fonction des objectifs du client, et sur certaines difficultés pratiques.

I. Les parties à l’acte

A. Les donateurs

Concernant la personne du donateur : une très grande liberté existe en matière de donation- partage. En effet, elle peut être réalisée par un seul donateur ou par deux donateurs, le plus souvent un couple marié. On parle alors respectivement de donation-partage simple ou de donation-partage conjonctive. En revanche, en matière de testament-partage, la règle de l’article 968 du code civil s’impose et prohibe les testaments-partage conjonctifs. Cette distinction emporte des conséquences quant aux biens qu’il est possible d’inclure dans ces libéralités. Cette question fera l’objet de précisions dans les développements à suivre.

Il est à noter qu’il existe une troisième donation-partage : la donation-partage cumulative. Elle intervient entre le conjoint survivant et les héritiers du prédécédé et réalise le partage des

biens laissés par le de cujus tombés dans l’indivision successorale et des anciens biens communs. Elle peut également inclure des biens propres du conjoint survivant. Par conséquent, elle réalise à la fois le partage de la succession du prédécédé et le partage anticipé de la succession du conjoint survivant.

B. Les donataires

Depuis la loi du 23 juin 2006, le principe est contenu à l’article 1075 du Code civil et est le même pour les deux formes de libéralité-partage : peuvent être gratifiés les héritiers présomptifs du donateur. Peuvent ainsi avoir la qualité de donataire les personnes qui seraient appelées à la succession du donateur, en application des règles de la dévolution légale, si celui-ci venait à décéder au jour où la libéralité est réalisée. Par conséquent, la qualité de donataire n’est pas réservée aux seuls enfants du donateur, bien que ce soit très souvent le cas en pratique.

Le terme d’héritier présomptif peut inclure le conjoint. Toutefois, il est déconseillé de réaliser une donation-partage au profit du conjoint car, en tant que donation de biens présents, elle est irrévocable. Remarquons que cette difficulté n’existe pas en matière de testament-partage.

Un enfant non commun à deux époux peut être donataire d’une donation-partage conjonctive mais il ne peut être alloti qu’au moyen de biens propres de son auteur ou de biens communs aux donateurs ; en revanche, il ne peut pas recevoir de bien propre de l’autre époux. Ces règles sont contenues à l’article 1076-1 du Code civil.

Un problème pratique peut surgir si le donateur a un nouvel enfant après la réalisation de la donation-partage ou bien que l’existence d’un enfant naturel est révélée après cette date. L’article 1077-2 du Code civil prévoit que cet enfant dispose d’une action en réduction lui permettant de reconstituer sa part héréditaire, c’est-à-dire sa part de réserve ainsi qu’une part de disponible lui revenant. Cette action est possible si le patrimoine successoral ne contient pas suffisamment de biens pour reconstituer cette part héréditaire.

Il existe toutefois deux cas dans lesquels il est possible d’allotir des personnes n’ayant pas la qualité d’héritier présomptif :

  • tout d’abord, il est possible de gratifier des descendants de degrés différents dans le cadre d’une libéralité-partage transgénérationnelle (article 1075-1 Code civil). En recueillant le consentement des enfants évincés, il est ainsi possible d’allotir des descendants n’ayant pas la qualité d’héritier présomptif
  • ensuite, la loi de 2006 permet la transmission d’une entreprise ou de droits sociaux d’une société à un tiers par donation-partage. Les conditions de validité sont strictes (article 1075-2 Code civil) : il faut notamment que le donateur exerce dans cette société une fonction dirigeante et qu’il transmette, par le biais de la libéralité, tous les biens nécessaires à l’exploitation de l’entreprise. Dans ce cas particulier, le tiers- donataire ne doit pas être alloti d’autres biens que ceux-ci.

II. Les biens objets de la libéralité

Tous les biens présents peuvent être inclus dans une libéralité-partage. En revanche, elle ne réalise pas nécessairement le partage de tous les biens contenus dans le patrimoine du disposant. Les biens non compris dans la libéralité-partage seront attribués, au décès du disposant, à ses héritiers en application des règles de la dévolution légale.

La principale difficulté quant aux biens objets de la libéralité-partage concerne les biens indivis. Non pas qu’il soit interdit d’allotir un donataire d’un bien indivis : on retrouve ici le risque classique en cas de cession d’un bien indivis, à savoir qu’à défaut du consentement de tous les indivisaires, le sort de la donation-partage dépendra du partage réalisé entre les indivisaires, pour savoir si le bien se retrouve ou non dans le lot du disposant.

La difficulté se porte plutôt sur l’attribution de quotités indivises. En pratique, une personne dont le patrimoine n’est pas suffisant pour allotir chaque enfant d’un bien en pleine propriété peut être tenté d’allotir chacun d’une quote-part d’un bien. Un tel allotissement peut  également éviter qu’un copartagé ne soit redevable d’une soulte qu’il n’a les moyens de régler.

Mais il existait également une raison fiscale à cette pratique : l’intention d’échapper à la taxation sur les plus-values lors de la cession de la quote-part indivise. Si des lots sont

 attribués en indivision dans le cadre d’une donation-partage, les droits indivis cédés par la suite par une copartagés ne sont pas soumis à la taxation sur les plus-values. En revanche,  s’il

 s’agit d’une donation simple, la vente ultérieure des droits indivis est soumise aux droits de mutation à titre onéreux et à la taxation sur les PV.

La Cour de cassation a mis fin à cette pratique par un arrêt de la 1ère chambre civile du 20 novembre 2013. On retient aujourd’hui l’adage : « donation-partage sans  partage ne vaut ». En effet, dans cet arrêt, la Cour suprême requalifie une donation-partage en donation simple au motif que la libéralité allotissait deux des trois copartagés en droits indivis et ne réalisait donc pas un partage à proprement parlé, car le but du partage est bien de substituer à des  droits indivis des droits divis sur des biens. La requalification concerne l’acte en son entier et pas seulement les lots indivis. La sanction est particulièrement lourde car elle fait disparaitre tous les intérêts civils et fiscaux de la libéralité-partage.

Suite à cette décision, une difficulté pratique a surgi : comment régulariser les donations- partages antérieures contenant des lots indivis ? Une des solutions est de consentir une nouvelle donation-partage en incorporant le bien indivis pour l’attribuer à un seul donataire. L’inconvénient est que cela fait naitre une soulte à la charge du copartagé alloti du bien.

Pour les donations-partages à venir, une alternative aux lots indivis consiste à apporter le bien à une SCI préalablement constituée et d’allotir les donataires de parts sociales, en pleine propriété. L’inconvénient réside dans le coût supplémentaire engendré par la constitution de  la société et la rédaction des statuts.

III. Les intérêts particuliers des libéralités-partages

A. Absence de rapport et règles d’évaluation des biens

L’intérêt essentiel de réaliser une donation-partage réside dans l’article 1078 du Code civil  qui dispose : « les biens donnés seront, sauf convention contraire, évalués au jour de la donation-partage pour l’imputation et le calcul de la réserve, à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l’aient expressément accepté, et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent ».

Ainsi, cette règle est dérogatoire au droit commun des donations. En principe, dans la liquidation d’une succession, lors des opérations de contrôle du dépassement de la quotité disponible, les biens sont évalués au jour du décès, selon leur état au jour de la donation. En présence d’une donation-partage, l’évaluation retenue des biens est celle contenue dans l’acte de donation. Deux conditions doivent être réunies :

  • tous les héritiers réservataires présomptifs doivent avoir participé à la donation- partage et avoir accepté leur lot
  • la donation-partage ne doit pas contenir de réserve d’usufruit sur une somme d’argent

Toutefois, l’application de cet article est facultative. En effet, même si les conditions sont réunies, les parties peuvent prévoir dans l’acte que l’évaluation des biens sera réalisée au jour du décès pour les opérations de liquidation de la succession du donateur.

Il est important de remarquer que cette règle peut présenter un inconvénient pour le donateur. En effet, l’absence de réévaluation des biens objets de la donation-partage au jour du décès implique que le montant de la quotité disponible sera moins important qu’en cas de réévaluation des biens. Par conséquent, cette règle diminue dans une certaine mesure la capacité testamentaire du donateur. Il peut donc être opportun de l’écarter en fonction des projets de transmission du donateur.

Le second intérêt de la donation-partage est qu’elle est dispensée de rapport. L’article 1077 du Code civil précise qu’elle est par principe en avancement de part successorale mais qu’elle peut être stipulée conventionnellement comme étant hors part successorale. Toutefois, ce caractère n’aura de conséquence que sur les règles d’imputation de la libéralité et non pas sur celles du rapport car elle en sera dispensée dans tous les cas.

Le testament-partage, quant à lui, ne bénéficie pas de l’absence de réévaluation des biens donnés car, au contraire, le principe est celui de l’évaluation au jour du décès du testateur. En revanche, il bénéficie également de l’absence de rapport comme les legs classiques.

B. Composition des lots :

Le principe, pour les deux formes de libéralités-partages, est qu’il n’est pas nécessaire de composer des lots égaux en nature ou en valeur, il suffit que chaque héritier réservataire ait  été alloti a minima du montant de sa part de réserve.

Pour ce faire, il est possible d’avoir recours à des incorporations, en application des articles 1078-1 à 1078-3 du Code civil. En effet, le lot d’un donataire peut être composé de biens antérieurement reçus par donation consentie par le même disposant. Toute donation antérieure peut être incorporée à une donation-partage, avec l’accord du donataire concerné.

Le recours à l’incorporation peut être nécessaire ou justifiée lorsque les biens existants dans le patrimoine du donateur au jour de la donation-partage ne sont pas suffisants pour allotir chaque donataire. De plus, cela peut permettre de modifier le caractère hors part ou en avancement de part de la donation incorporée ou, a minima, de la faire bénéficier de l’absence de rapport et de l’absence de réévaluation inhérentes aux donations-partages. Enfin, toujours avec l’accord du donataire concerné, il est possible d’attribuer le bien incorporé à un autre donataire.

Les libéralités-partages ne réalisent pas nécessairement la distribution et le partage de la totalité du patrimoine du disposant, bien que leur but est d’anticiper ou du moins de réduire le partage successoral. Les biens non compris dans la libéralité-partage seront alors attribués et partagés au décès du disposant en vertu des règles de la dévolution légale.

En tout état de cause, le partage opéré par une donation-partage ne peut pas être remis en cause au décès du donateur, hormis le cas où un héritier réservataire n’aura pas été alloti de sa part de réserve. Cette sécurité juridique est encore plus importante en présence d’un testament partage. En effet, selon l’article 1079 du Code civil, « ses bénéficiaires ne peuvent renoncer à se prévaloir du testament pour réclamer un nouveau partage de la succession ». Par conséquent, soit ils acceptent le lot qui leur a été attribué par le disposant soit ils perdent tout droit dans la succession de celui-ci.

D’un point de vue pratique, le testament-partage est à privilégier lorsqu’une  personne  souhaite désavantager un enfant par rapport aux autres. Non pas quant au montant des droits attribués car chacun doit recevoir au minimum le montant de sa part de réserve mais quant  aux biens qui constituent sa part de réserve en lui attribuant par exemple plusieurs biens de faibles valeurs ou des biens non frugifères.

En revanche, il est possible d’avantager un enfant par le biais des deux formes de libéralité- partage, non seulement en lui attribuant un bien en particulier, par exemple une entreprise, ou en lui attribuant plus que sa part de réserve, sans pour autant léser les codonataires.

C. L’action en réduction, unique sanction applicable aux libéralités-partages :

Lorsqu’un héritier réservataire n’a pas reçu sa part de réserve par le biais d’une libéralité- partage ou n’y a pas concouru dans le cadre d’une donation-partage, il peut exercer l’action en réduction contre ses cohéritiers (article 1077-2 du Code civil).

Toutefois, une donation-partage ne sera réduite que si l’héritier qui n’a pas reçu sa part de réserve n’a pas été gratifié par ailleurs d’une donation en avancement de part qui l’aurait alloti de sa réserve et s’il n’existe pas dans le patrimoine successoral du défunt, de biens existants permettant de compléter sa part de réserve. En pratique, les donations-partages sont rarement réduites.

Si une telle opération s’avère néanmoins nécessaire, deux méthodes de réduction sont avancées par la doctrine : une première raisonnant sur les parts de réserve et une seconde sur les parts héréditaires. Les résultats chiffrés obtenus sont sensiblement différents d’une méthode à l’autre. Nous ne les développerons pas davantage car cette opération ne relève pas du conseiller en gestion de patrimoine.

Dernière précision relative au délai d’exercice de l’action en réduction. Rappelons que pour les donations classiques, le délai pour agir est de 5 ans à compter de l’ouverture de la succession du disposant ou de 2 ans à compter du jour où l’héritier réservataire a eu connaissance de l’atteinte portée à sa réserve, dans la limite de 10 ans à compter du décès du donateur. Il en va différemment pour les libéralités-partages : le délai pour agir est de 5 ans à compter du décès du donateur, sans aucune exception.

IV. La fiscalité des libéralités-partages

A. Les donations-partages

Le principe est qu’elles sont soumises aux seuls droits de mutation à titre gratuit et non pas au droit de partage. Il existe cependant deux exceptions :

  • en présence d’incorporation, les biens incorporés seront soumis au droit de partage au taux de 2,5% (art 746 CGI).
  • pour les donations-partages cumulatives

L’assiette taxable correspond à la valeur vénale des biens donnés. En présence d’un démembrement, il est fait application du barème fiscal de l’article 669 du Code Général des Impôts.

Certains biens bénéficient d’une exonération totale ou partielle. Par exemple, est applicable l’exonération de 75% prévue à l’article 787B CGI pour les donations de parts ou actions  d’une société faisant l’objet d’un engagement collectif et d’un engagement individuel de conservation (pacte Dutreil).

Les abattements applicables sont identiques à ceux applicables aux donations simples. Par exemple, on retrouve l’abattement de 100 000€ en ligne directe. Pour le calcul des droits de mutation à titre gratuit, il faut se référer à l’article 777 CGI qui fixe les barèmes progressifs par tranches en fonction du lien de parenté entre donateur et donataire.

Une fois le montant des droits obtenu, il est possible de bénéficier d’une réduction de droit pour charges de famille, à savoir 610€ par enfant au-delà du second pour les transmissions en ligne directe et 350€ pour les transmissions en ligne collatérale. Peuvent en bénéficier les donataires ayant au moins 3 enfants vivants, représentés ou décédés après l’âge de 16 ans.

La réduction de droit de 50% prévue à l’article 790 CGI est également applicable. Elle concerne les donations en pleine propriété des parts ou actions d’une société, soumises aux dispositions du pacte Dutreil et dont le donateur est âgé de moins de 70 ans.

La règle du rappel fiscal est applicable : lorsqu’une donation a déjà été réalisée par  le donateur au profit du donataire au cours des 15 années qui précèdent, l’abattement utilisé lors de la ou des précédentes donations ne peut plus être utilisé. Il en est de même concernant les tranches de l’impôt progressif déjà atteinte ou de la réduction de droit déjà utilisée.

Si la donation-partage porte sur des immeubles, elle sera soumise à publicité foncière. Ainsi, seront également dus :

  • la contribution de sécurité immobilière au taux de 0,10% sur la valeur des immeubles donnés
  • la taxe de publicité foncière de 0,61422%
  • le prélèvement pour frais d’assiette et de recouvrement fixé à 2,37 % du montant de la taxe de publicité foncière.

B. Les testaments-partages

Les biens échus aux donataires par le biais d’un testament-partage sont assujettis au droit de mutation par décès dans les conditions ordinaires ainsi qu’au droit proportionnel de partage de 2,5%. Ces biens sont évalués au jour du décès du testateur pour déterminer l’assiette taxable. Les abattements de droit commun sont applicables. Les barèmes applicables sont les mêmes que pour les donations-partages. En revanche, aucune réduction de droit n’est applicable, contrairement aux donations-partages.

Ainsi, d’une manière générale, la fiscalité des donations-partages est plus favorable que celle des testaments-partages. La différence essentielle est l’absence de droit de partage, par principe, dans les premières. De plus, les donations-partages sont à privilégier dans l’optique d’une transmission d’entreprise car elles seules permettent de bénéficier de la réduction de droits de 50% de l’article 790 CGI. Enfin, si la transmission du patrimoine d’une personne est suffisamment anticipée, le recours aux donations-partages peut permettre de bénéficier deux fois de l’abattement de 100 000€ par donataire en ligne directe, en respectant un délai de 15 ans entre deux libéralités. De ce fait, une personne peut transmettre, de son vivant, une grande partie de son patrimoine, voire l’intégralité, en réduisant au maximum les droits de mutation. L’avantage est encore plus grand en présence de personnes mariées sous le régime de communauté car les enfants donataires bénéficient d’un abattement de 100 000€ par parent, ce qui peut permettre de réaliser la transmission des biens communs en franchise de droits.

– Pauline Platerrier

 

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